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Le blog du 347e RI
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6 novembre 2009

L'allocution prononcée par P. LENHARD

Honneur à l'initiateur du projet, Pierre LENHARD : voici le texte de l'allocution qu'il a prononcé le 4 novembre dernier (reproduit avec son autorisation - merci)

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Pierre LENHARD prononçant son allocution - Photo Jean-Luc

INAUGURATION STELE DES FUSILLES DE FLEURY

Lors de son allocution du 11 novembre 2008, sur cette terre sacrée de Verdun, le président de la République a dit : « Je penserai à ces hommes dont on avait trop exigé, qu'on avait trop exposés, que parfois des fautes de commandement avaient envoyés au massacre et qui un jour n'ont plus eu la force de se battre » et de rajouter « ….je veux dire au nom de la Nation que beaucoup de ceux qui furent exécutés alors ne s'étaient pas déshonorés, n'avaient pas été des lâches mais simplement ils étaient allés jusqu'à l'extrême limite de leurs forces ».

En entendant ces paroles, j'ai immédiatement pensé au destin tragique des sous-lieutenants Herduin et Millant. Permettez moi de retracer brièvement les faits :

Le 5 juin 1916, le 347 ième RI monte en ligne dans le secteur de Thiaumont. Le régiment soumis à des tirs d'écrasement subit de fortes pertes, son chef de corps est tué par un éclat d'obus.
De nombreux soldats sont faits prisonniers, les sources allemandes parlent de 2 bataillons.

Le 9 juin, en position près de la ferme de Thiaumont, les sous-lieutenants Herduin et Millant commandant respectivement la 17 ième et 19 ième compagnie se trouvent réduit qu'à une quarantaine d'hommes. Sans ravitaillement, sans munition, sans liaison, bombardé par l'artillerie allemande mais également française qui croyait cette position perdue, sur le point d'être fait prisonniers, ces 2 officiers décident de se replier pour se soustraite à la captivité inévitable.

A son arrivée à Verdun, Herduin écrit à son épouse :

« Notre division est fauchée, le régiment anéanti, je viens de vivre cinq jours terribles, voyant la mort à chaque minute, je te dirai cela plus tard. J'ai pu sortir de la mêlée avec 25 hommes de ma compagnie sans une égratignure, je suis maintenant en arrière. Si tu me voyais couvert de boue, tu ne me reconnaîtrais pas. Quatre jours sans boire, ni manger et dans la boue, les obus, quel miracle que je sois encore là »

Le 10 juin dans une seconde lettre, il déclare :

« Nous nous remettons de nos émotions. Je pense avoir une permission bientôt. Je suis abasourdi de tout ce que j'ai vu. Il faut encore quelques jours pour s'en remettre ». 

Le 11 juin, ils rejoignent les rescapés de leur unité dans le bois de Fleury. Là, ils manifestent la joie de retrouver leurs camarades. Ils ignorent le sort qui leur est réservé.

Un ordre du Colonel Bernard commandant la 103 ième brigade ordonne leur exécution immédiate.

Persuadés d'avoir agi pour le mieux en tenant jusqu'à la limite des forces et en évitant la captivité à leurs hommes, les 2 officiers protestent en estimant qu'on avait pas le droit de les mettre à mort sans les entendre.
Leur recours reçut la réponse laconique suivante : Pas d'explication, exécution immédiate.

Herduin s'écarte quelques minutes avec l'abbé Heintz (futur évêque de Metz) et écrit alors une dernière lettre à son épouse qui résume bien les faits :

" Ma petite femme adorée,

Nous avons, comme je te l'ai dit, subi un grave échec : tout mon bataillon a été pris par les Boches, sauf moi et quelques hommes, et, maintenant, on me reproche d'en être sorti; j'ai eu tort de ne pas me laisser prendre également. Maintenant, le colonel Bernard nous traite de lâches, les deux officiers qui restent, comme si, à trente ou quarante hommes, nous pouvions tenir comme huits cents.

Enfin, je subis le sort, je n'ai aucune honte, mes camarades, qui me connaissent, savent que je n'étais pas un lâche. Mais avant de mourir, ma bonne Fernande, je pense à toi et à mon Luc. Réclame ma pension, tu y as droit.

J'ai ma conscience tranquille, je veux mourir en commandant le peloton d'exécution devant mes hommes qui pleurent.

Je t'embrasse pour la dernière fois comme un fou.

Crie, après ma mort, contre la justice militaire. Les chefs cherchent toujours des responsables. Ils en trouvent pour se dégager.

Mon trésor adoré, je t'embrasse encore d'un gros baiser, en songeant à tout notre bonheur passé. J'embrasse mon fils aimé qui n'aura pas à rougir de son père qui avait fait tout son devoir.

De Saint- Roman m'assiste, dans mes derniers moments. J'ai vu l'abbé Heintz avant de mourir. Je vous embrasse tous. Toi encore, ainsi que mon Lulu.

Dire que c'est la dernière fois que je t'écris. Oh ! mon bel ange, sois courageuse, pense à moi, et je te donne mon dernier et éternel baiser. Ma main est ferme et je meurs la conscience tranquille.

Adieu, je t'aime.

Je serai enterré au bois de Fleury au nord de Verdun. De Saint- Roman pourra te donner tous les renseignements. "

A l'issue, il cherche tous ses camarades pour les embrasser, faire ses adieux et dire qu'il n'était pas un lâche.

Comme personne ne voulait commander le peloton d'exécution, Herduin se propose de le faire. Millant quant à lui reste distant, ne semblant pas comprendre ce qui leur arrive.

Les 2 officiers se rendent d'un pas alerte sur les lieux d'exécution, le talus du chemin de fer, se placent devant le peloton; 6 hommes désignés pour chaque officier.

Herduin remet ses décorations à son ordonnance et affirme une dernière fois que lui et ses subordonnés n'étaient pas des lâches. Il rajoute qu'il croyait avoir fait son devoir et exhorte les soldats par ces paroles ; «  Tenez jusqu'au bout pour la France, je suis innocent. Je meurs en brave et en Français. »

« Visez bien. En joue. Feu ! »

Une salve, deux coups de révolver tirés comme coups de grâce par l'adjudant Amiable qui se cachant le visage avec son bras gauche, tire au hasard, sans viser les corps des victimes étendus par terre. Le soldat Perrier qui a assisté à cette exécution dira que cette image le poursuivra jusqu'à sa mort.

Il est 17 heures 43, ce dimanche 11 juin, jour de Pentecôte.

Enterrés sur les lieux de leur exécution, les corps des 2 fusillés seront exhumés en 1919. Herduin repose dans le cimetière de l'Est à Reims et Millant dans la nécropole de Douaumont, tombe n° 6177.

Ces 2 officiers fusillés en toute illégalité car les tribunaux militaires spéciaux venaient d'être supprimés depuis une loi votée le 17 avril 1916, seront réhabilités en 1926.

Des 1921, le ministre de la guerre reconnaîtra cette exécution extrajudiciaire et la mention « Mort pour la France » sera accordée aux 2 fusillés ainsi qu'une indemnité à leurs familles. La médaille de Verdun à titre posthume leur sera délivrée.

Ce monument érigé à quelques centaines de mètres de leur lieu de supplice témoignera d'une facette méconnue et douloureuse de notre histoire qu'il faut aussi avoir le courage de ne pas occulter. Comme l'a déclaré le président de la République Nicolas Sarkozy, je peux dire que ces hommes exécutés ici et de surcroit illégalement ne furent pas des lâches. Ils méritent mieux que des polémiques.

Pierre Lenhard. Fleury devant Douaumont 4 novembre 2009.

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